• Les Grandes lignes de l'aliénation de l'Ouest</strong />

    Le Canada, terre d'accueil pour les communautés immigrantes qui s'y sont installées, se caractérise par son pluralisme ethnique, religieux ou encore linguistique. Si sa diversité ne peut aujourd'hui être remise en question, l'intégration des différents groupes reste encore au cœur des débats. En effet, les divergences démographiques, économiques, politiques, culturelles et régionales demeurent marquées. Le Québec apparaît parfois comme une société distincte, à part du reste du pays. Cependant, il ne faudrait pas tomber dans l'extrême qui consisterait à avoir une vision dualiste de la fédération : ainsi, il n'y a pas le Québec d'un côté et un bloc monolithique de l'autre. Chaque province a ses propres caractéristiques et va participer à l'enrichissement national. En conséquence, la dimension du pluralisme régional est bien présente avec les trois grands ensembles que constituent l'Ouest (Colombie-Britannique, Alberta, Saskatchewan et Manitoba), le Centre (Ontario et Québec) et l'Est (Nouveau-Brunswick, Ile-du-Prince-Edouard, Nouvelle-Ecosse et Terre-Neuve). Ce régionalisme est d'ailleurs source de conflits : l'Ouest se différencie depuis son entrée dans la Confédération et cherche à se faire entendre à Ottawa, dans l'espoir d'être mieux intégrée. On parle d'ailleurs parfois d'aliénation. Cette présentation a pour objectif de comprendre les raisons des divergences de l'Ouest et de souligner le dynamisme politique qu'elles peuvent entraîner. Pour en expliciter les tenants et les aboutissants, notre communication évoluera de la manière suivante : après un descriptif de l'identité de cette périphérie, nous aborderons une analyse historique et économique puis nous nous acheminerons vers un aspect plus politique et institutionnel.

    A l'heure de la mondialisation et de l'uniformisation, les propriétés des provinces peuvent sembler disparaître progressivement dans le quotidien. Ainsi, si les styles de vie à Toronto (Ontario), Halifax (Nouvelle-Ecosse), Edmonton (Alberta), Charlottetown (Ile-du-Prince-Edouard) et Brandon (Manitoba) ne sont pas identiques, ces différences restent moins flagrantes de nos jours que par le passé. Peu importe où vivent les Canadiens, ils peuvent lire le Globe and Mail</em />, faire leurs courses au Canadian Tire</em />, manger chez MacDonald, souscrire aux mêmes chaînes payantes et boire la même bière. Cependant, des particularités demeurent  et acquièrent une importance croissante au sein du système politique et économique[1]. Les habitants n'ont pas tous les mêmes relations avec le reste du pays ou du monde. Les niveaux de vie sont différents et la population est d'origines diverses en fonction des provinces : plus de francophones vivent dans la ville de Québec qu'à Winnipeg, au Manitoba, où l'on compte une vaste communauté ukrainienne. Toronto est une grande mégalopole dynamique où une société multiculturelle évolue sous les auspices d'un climat plutôt doux, grâce à la présence des Grands Lacs. Winterpeg, le surnom donné à Winnipeg, parle de lui-même. Il n'est pas question de voir dans cette ville de taille moyenne une foule d'hommes d'affaires sortir des gratte-ciel en fin de journée, il ne faut pas non plus espérer y trouver une vie culturelle trépidante. Les villes des Prairies se caractérisent par leur calme presque aussi plat que leur relief. Malgré et peut-être d'ailleurs grâce à leurs différences flagrantes, ces espaces entretiennent des relations interprovinciales. On voit parfois un rapport de forces s'installer, une sorte de concurrence, de course pour attirer les nouveaux immigrants ou les entreprises et les garder : c'est à la province qui pourra offrir le niveau de vie le plus élevé, les universités les mieux cotées, les meilleures routes, le climat le plus agréable (même si cela reste relatif dans un pays comme le Canada), la sécurité, les aides aux familles ou encore la plus belle architecture. En d'autres termes, chacune cherche à avancer, à s'améliorer et à aider ainsi ses habitants. Pour cela, les fonds fédéraux sont nécessaires. Il arrive que certaines régions se sentent alors oubliées par Ottawa : c'est ponctuellement le cas du Québec et de ses francophones mais c'est également vrai pour l'Ouest où sévirait un sentiment d'aliénation et où les citoyens ont l'impression de ne pas faire partie à cent pour cent de la fédération. Cette région évoque diverses images. L'arrière-pays est riche en ressources naturelles. Des fermiers y organisèrent les coopératives du blé ou les partis de protestation. Les chemins de fer y ont joué un rôle important. Les fanatiques religieux de droite, influencés par les idées américaines, y sont nombreux. On peut encore penser à la Grève Générale de Winnipeg en 1919[2], aux traditions du syndicalisme, à la lutte des classes et à l'émergence du mouvement social démocrate. Un tel territoire est souvent associé à l'agriculture. Ainsi, à la fin du 19ème siècle, le blé régnait en maître et conditionnait le développement[3]. A cette époque, nous avions une communauté unie par une même économie et par des expériences quotidiennes similaires. Les habitants avaient d'ailleurs l'impression d'être différents de ceux du reste du pays. Cependant, au cours des décennies qui suivirent la Grande Dépression et la Deuxième Guerre Mondiale, une certaine hétérogénéité commença à apparaître avec la diversification. D'autres ressources sont maintenant exploitées : le pétrole, le gaz naturel, le charbon, la potasse[4], les métaux précieux, l'uranium ou le bois pour la construction. C'est en partie pour cela que Roger Gibbins affirme : « L'Ouest, comme beaucoup de communautés régionales et nationales, acquiert une plus grande cohésion et une plus grande homogénéité plus on s'en éloigne. Quand on s'en rapproche, la région se fragmente en communautés provinciales bien distinctes</em />[5]. » Le Manitoba et la Colombie-Britannique sont deux provinces situées aux antipodes de l'Ouest et nous permettent de comprendre les diversités qui existent au sein de cet ensemble. Le Manitoba se différencie sur le plan politique et économique notamment. Son bon fonctionnement dépendant largement des transferts fédéraux, les habitants ne tiennent pas beaucoup à la mise en place de mesures de décentralisation. Contrairement à la majorité des Albertains ou des Britanno-Colombiens, ils soutiennent donc plus facilement des solutions nationales[6]. La Colombie-Britannique est une province unique, caractérisée par une grande diversité. Les gouvernements successifs ont cherché à l'intégrer sur l'axe Pacifique et l'élite politique a conscience des particularités liées à la situation périphérique, aux bouleversements démographiques et aux nouvelles ouvertures vers l'Asie. En décembre 1975, Dave Barrett[7] affirma en décembre 1975 : « Ma province est différente des autres régions du Canada qu'il s'agisse de son histoire, de ses habitants, de son économie et de sa culture</em />[8]</strong /></em />.</em /> »Malgré tout, plusieurs recherches montrent que les habitants ont le sentiment d'appartenir à une même région. En 1977, une étude indiqua que l'identité régionale était fortement marquée chez 80 % des citoyens. Ce fut le cas de 77 % des Manitobains et de 90 % des Albertains. En 2001, le même sondage fut mené et les résultats obtenus furent similaires[9]</strong /></em />. Ainsi, si l'hétérogénéité caractérise les provinces de l'Ouest, elles semblent encore former un groupe uni face au Centre.

    Cette divergence régionale existe depuis l'intégration de ces espaces à la fédération. Il faut donc s'appuyer sur des facteurs historiques pour en comprendre les origines : le statut d'outsider ou le sentiment d'aliénation sont en effet intimement liés au passé. L'Ouest entra dans la Confédération alors que la structure de ce système avait déjà été définie : des relations franco-anglaises avaient été établies, de même que des partis politiques et l'économie encourageait les échanges entre l'Est et la périphérie. Cependant, celle-ci n'allait pas être considérée comme un partenaire égal : elle devait devenir ce que le Centre avait été à la Grande-Bretagne jusqu'en 1870, à savoir, un arrière-pays économique permettant de nourrir le cœur éloigné du Canada[10]. Le Manitoba et la Colombie-Britannique rejoignirent la fédération en 1870 et 1871. L'Alberta et le Saskatchewan ne réussirent à obtenir le statut de provinces qu'en 1905. En dehors de la Colombie-Britannique, aucun de ces territoires n'avait jusque-là été développé de manière durable, contrairement à ceux de l'Est : les infrastructures étaient peu nombreuses, les installations de colons éparses et l'organisation gouvernementale presque inexistante. Pour y remédier et freiner tout expansionnisme américain, Ottawa mit en place un système particulièrement centralisé[11] : en d'autres termes, la vie des habitants de ces nouvelles provinces se trouvait réglementée par des officiers fédéraux, peu soucieux de consulter les résidents. En outre, le modèle qui s'était formé au Centre et dans les provinces maritimes n'allait pas se retrouver à l'Ouest du pays[12]. En effet, aucun équilibre n'y existait entre les deux grandes communautés nationales. Les Francophones étaient perçus comme une minorité linguistique parmi d'autres dans une région polyglotte. Ils restaient peu importants en comparaison des nombreux Russes, Ukrainiens, Polonais ou Suédois. Ces groupes ne parlaient ni français, ni anglais et n'étaient en aucun cas attachés au système politique canadien. Les colons américains, qui arrivaient en masse, ajoutèrent une touche de populisme agraire aux premières caractéristiques de cette périphérie, où les colons espéraient construire un nouveau Canada à leur image. Le recensement de 1921 constitua une preuve tangible quant aux différences régionales en matière de démographie. Du point de vue ethnique, les provinces de l'Alberta, du Saskatchewan et du Manitoba étaient bien plus hétérogènes que le Centre. Les Canadiens britanniques y étaient en nette minorité, contrairement au reste du pays où ils constituaient une majorité sauf au Québec. Dans les Prairies, les Canadiens français ne formaient que 6 % de la population, et étaient donc en nombre moins important que les Allemands (10 %), les Ukrainiens (8 %) et les Scandinaves (7 %). Environ 8 % de la population était née aux Etats-Unis contre seulement 2 % dans le reste du Canada[13].Ottawa voulait avant tout rentabiliser les nouvelles provinces le plus rapidement possible. Le gouvernement établit une politique nationale à deux vitesses qui allait accroître les différences régionales déjà bien marquées entre l'arrière-pays et le Centre. Des lignes de chemin de fer traversant l'ensemble du Canada furent construites, en partie grâce au financement fédéral[14] : ces infrastructures allaient permettre de communiquer et d'échanger des biens. Cependant, les habitants de l'Ouest devaient payer davantage que ceux de l'Est pour transporter leurs marchandises par voie ferrée : en d'autres termes, faire transiter du grain de Winnipeg à Ottawa revenait plus cher que le même trajet effectué en sens inverse. Ces coûts élevés réduisaient les bénéfices agricoles et accentuaient le sentiment d'aliénation[15]. Des droits de douane furent également prélevés sur les machines provenant du voisin américain afin d'éliminer toute concurrence aux manufactures de l'Est. Le gouvernement fédéral semblait freiner le développement industriel de l'Ouest pour que cet arrière-pays ne fasse pas de l'ombre au Centre, en plein essor économique[16]. Les divergences furent renforcées par les crises économiques successives qui frappèrent plus durement les fermiers de la périphérie que les habitants du reste du pays. Le gouvernement fut accusé d'insensibilité à l'égard des populations agricoles : aucune solution ne parvint à soulager des individus accablés par le poids des dettes et souffrant des catastrophes naturelles[17]. Si Ottawa mit en place des programmes de quotas pour limiter la surproduction et encouragea la disparition des fermes familiales peu rentables, de telles mesures eurent pour conséquence de creuser le gouffre entre deux régions d'un même pays mais divergentes sur les plans économiques et démographiques. Depuis la seconde guerre mondiale, des ressources naturelles diverses y sont exploitées. L'Alberta est devenu prospère grâce aux gisements de pétrole[18]. Cependant, comme si le gouvernement fédéral ne pouvait tirer aucune leçon du passé, il chercha à gommer les différences et à uniformiser le pays en termes de richesses : ainsi, au cours de la crise des années 1970, le premier ministre libéral, Pierre Trudeau, gela les prix du pétrole pour protéger les provinces consommatrices à l'Est de la flambée des coûts internationaux. Les conséquences furent désastreuses pour les relations domestiques : très vite, les liens entre l'Alberta et Ottawa ressemblèrent à ceux de deux nations étrangères totalement rivales. D'un côté, le Centre fondateur était prospère grâce aux industries manufacturières et était peuplé à la fois par des anglophones et des francophones. Quant à la périphérie multiculturelle de l'Ouest, elle dépendait presque exclusivement de l'agriculture et des ressources naturelles dont les revenus variaient en fonction de la conjoncture. Le pluralisme qui existait n'était donc pas représenté par les politiciens fédéraux qui cherchaient uniquement à unir les différentes parties du pays sans prendre en compte les caractéristiques propres à chacune.

    On l'a vu, la diversité économique et démographique caractérisa très rapidement l'Ouest et se doubla bientôt d'une divergence politique. Ainsi, les habitants y mettent en avant les injustices d'un système qui ne les comprend pas. La région n'est en effet que très faiblement représentée à la Chambre des Communes où elle n'a que 88 députés contre les 178 que comptent l'Ontario et le Québec. Cette disparité s'explique certes par un peuplement inégal mais les conséquences négatives n'en demeurent pas moins importantes : à cause d'une telle répartition, il est presque impossible de former un gouvernement sans le soutien des deux provinces du Centre, qui voient en conséquence leurs intérêts largement défendus. En outre, les députés et les ministres sont liés par la discipline de parti et en oublient parfois les besoins véritables de leur circonscription[19]. Ce clivage n'est d'ailleurs pas corrigé par la présence d'une seconde Chambre, comme en Australie ou aux Etats-Unis[20]. Ainsi, le Sénat canadien ne soutien pas efficacement les régions périphériques : il n'est pas élu et n'a donc pas de légitimité démocratique. Il se contente de relire les textes de lois proposés par le Parlement en émettant la possibilité d'éventuels amendements. Des divergences politiques en terme de représentation font ainsi partie intégrante de la fédération canadienne. Si l'on s'en tient à cette brève description, on peut percevoir cette structure comme étant statique et incapable de supporter le moindre changement ou d'accommoder les différences. Cependant, le tempérament de contestation des habitants de l'Ouest permet de dynamiser la politique canadienne : leur divergence idéologique va donc constituer un atout de poids pour avancer sur le chemin des réformes institutionnelles. Ainsi, si le bipartisme domine généralement, la périphérie a engendré plusieurs partis de protestation. Certains d'entre eux sont restés au niveau régional comme le Crédit Social créé par le radio évangéliste William Aberhart dans les années 1930. D'autres, en revanche, ont eu une influence fédérale et continuent aujourd'hui à exister après plusieurs coalitions et changements de noms. C'est le cas de la Fédération du Commonwealth Coopératif devenue depuis le Nouveau Parti Démocratique ou du Parti de la Réforme qui trouve un équivalent dans le Parti Conservateur actuel. Ces tiers partis, qu'ils soient de gauche ou de droite, sont influencés par des idées populistes : ils cherchent à donner une voix aux communautés divergentes sur le plan régional, ethnique, religieux ou économique. En conséquence, ils constituent un vecteur du pluralisme. En outre, l'élément religieux joua un rôle important dans leur évolution : leurs fondateurs furent tous inspirés des idées évangéliques qui prédominaient à l'Ouest. Certes, ils n'adoptèrent pas tous la même approche mais leur succès n'aurait pu être tel sans cette composante chrétienne[21] qui a certainement freiné leur développement dans le reste du pays. L'évolution du Parti de la Réforme présente un intérêt pour sa proximité historique. Il est donc important de chercher à comprendre comment il a accueilli la diversité canadienne dans toute son ambiguïté. Depuis les années 1970, le mécontentement allait croissant chez les habitants de l'Ouest qui ressentaient de plus en plus des divergences d'opinion avec le Centre. Ni les Conservateurs, ni les Libéraux ne répondaient à leurs attentes et instauraient au contraire des mesures décriées dans la périphérie : on peut citer la politique sur l'énergie nationale, le bilinguisme ou encore diverses mesures économiques qui favorisaient l'Ontario et le Québec[22]. L'arrière-pays n'avait donc plus le choix : si ses caractéristiques idéologiques devaient être représentées, il fallait créer un nouveau parti. Les habitants trouvèrent une oreille attentive en Preston Manning, le fils d'un des anciens chefs du Crédit Social. En 1987, il créa, à l'Ouest, le Parti de la Réforme qui allait garder une certaine composante régionale tout au long de son existence, quelques soient les questions abordées. Une feuille d'érable coupée en deux servait de logo pour montrer que le Canada n'était pas entier sans la périphérie, idée rapidement renforcée par le slogan « The West Wants In ». Le parti encouragea une réforme du Sénat selon le modèle du Triple-E. Le but était d'instaurer une deuxième chambre Elue par tous les citoyens, Efficace et qui permettrait à toutes les provinces d'avoir un nombre Egal de sénateurs. En 2004, une analyse menée par la Canada West Foundation indique que 87 % des Albertains soutiennent la mise en place de tels changements, ce qui est loin d'être le cas dans le reste du pays[23]. Nous voyons donc bien une divergence politique s'installer. L'égalité régionale fut placée au cœur des préoccupations du parti qui s'opposa aux Accords de Meech Lake et de Charlottetown[24]. Si Preston Manning reconnaît le caractère unique de chaque province et de chacun des citoyens, il rejette tout statut spécial accordé à l'une ou l'autre des minorités. Dans son autobiographie, il parle d'un bilinguisme territorial : le français peut ainsi être une des langues officielles du Québec car la population francophone y est en nombre important. L'anglais serait donc la langue officielle du reste du pays. En d'autres termes, le bilinguisme ne s'appliquerait que là où le nombre de francophones et d'anglophones le justifierait[25]. Ainsi, il ne refuse pas de reconnaître le caractère unique de la culture et de la langue du Québec : cependant, ce particularisme ne doit pas induire des pouvoirs constitutionnels spéciaux, si l'on veut œuvrer à la construction de l'unité nationale dans la diversité. Le discours de ce parti porte sur une dénonciation générale des fondements identitaires du Canada : bilinguisme, multiculturalisme et reconnaissance des Premières Nations. En 1992, seulement 31 % des délégués pensaient que le gouvernement fédéral devrait être bilingue et pas plus de 6 % acceptaient le statut spécial du Québec[26]. La citation suivante résume bien le programme de ce parti : Nous rejetons l'imposition du bilinguisme ou de l'unilinguisme à tous les niveaux du gouvernement. Le PR s'oppose au concept actuel de multiculturalisme et de l'identité canadienne à trait d'union telle que la conduit le gouvernement du Canada. Nous mettrions un terme au financement des programmes du multiculturalisme et abolirions le Ministère du Multiculturalisme. [27]La lecture d'ouvrages ou d'essais émanant des partisans du Parti de la Réforme ne présente pas une haine déclarée à l'égard des groupes divergents de la société canadienne : qu'il s'agisse des homosexuels, des immigrants de couleurs, des Aborigènes ou des blancs, ce parti cherche à promouvoir une idée d'égalité dans le traitement que l'on accorde aux communautés. Ainsi, aucune mesure ne doit favoriser ou aider l'une d'entre elles. Murray Dobbin est fermement critique à l'égard de cette position qu'il considère comme raciste et homophobe. Sur son site internet Reform Watch, il a régulièrement publié des articles analysant les propositions de Preston Manning. L'un d'entre eux intitulé « Intolerance in Reform : the exception or the rule ?[28] » présente ici un intérêt particulier. Ainsi, à en croire Dobbin, les Réformateurs issus des minorités seraient racistes à l'égard des autres groupes. Ce serait donc le cas de Janice Lim qui est originaire de Singapore. Comme d'autres membres, elle pense qu'un employeur doit avoir le droit de renvoyer un homme de couleur si sa présence fait de l'ombre à ses affaires : elle ne précise pas si ces conséquences négatives sont liées à la couleur de peau ou à une certaine incompétence professionnelle. D'autres mettent en avant les problèmes liés à l'immigration comme l'analphabétisation ou le taux de chômage important. En outre, le PR rejette tout gouvernement autonome pour les Aborigènes de même que l'aide financière que le gouvernement peut leur apporter en guise de compensation pour les conquêtes effectuées il y a plus de 300 ans. Pourtant, en dépit des interprétations de Murray Dobbin, Preston Manning ne semble pas tenir un discours raciste ni homophobe. Quant au programme du parti, il est loin de présenter des propos extrémistes. En outre, Neil Bissoondath met en avant une thèse très similaire sur la politique du multiculturalisme dans Selling Illusions[29]</strong /></em />. De plus, selon Tom Flanagan, la position de Manning reste confuse en matière de multiculturalisme : il ne s'oppose pas ouvertement à cette politique mais pense que le gouvernement fédéral ne doit pas s'en charger, il incombe donc aux provinces de financer ou non de tels projets.Le PR insista sur la nécessité de réduire la dette, le déficit et les taxes. Sur ces trois points, il se positionna donc dans le camp opposé à celui occupé traditionnellement à l'époque par les Libéraux. Preston Manning dévoila en mars 1993 un projet intitulé Zero In Three dont le but était de supprimer le déficit en trois ans. Il fallait donner un nouveau souffle à l'économie grâce à un contrôle plus efficace des dépenses, ce qui permettrait de réduire les taxes, entraînant ainsi une augmentation du pouvoir d'achat des consommateurs. En outre, à l'égard des programmes sociaux, l'objectif était de réduire les dépenses en matière d'assurance chômage par exemple et d'encourageant la privatisation du système de santé. Le parti de Preston Manning remporta un certain succès au niveau fédéral et provincial. En 1993, il eut 52 députés à la Chambre des Communes. En 1997, grâce à ses 60 sièges, il forma l'Opposition Officielle jusqu'en 2000. Cependant, il ne réussit jamais à percer véritablement à l'Est du Manitoba où il gardait une étiquette régionale trop conservatrice. En outre, si ce parti mit en avant certaines des idées divergentes de l'Ouest, il ne représenta pas l'opinion de tous les habitants de cette périphérie. Ainsi, il attira essentiellement les classes moyennes, les actifs du secteur privé, les traditionalistes, les électeurs des zones rurales et périurbaines, les anglophones ou les protestants issus des riches provinces de l'Alberta, de la Colombie-Britannique et de l'Ontario. En 1993, on observa que les électeurs du PR étaient généralement contre le bilinguisme, l'immigration, le multiculturalisme, le gouvernement aborigène, l'avortement et le mariage homosexuel. Au contraire, ils soutenaient la peine capitale, les mères au foyer, la réduction du financement de l'aide médicale et des allocations chômage[30]. Si Preston Manning espérait créer un parti transgressant les différences idéologiques et pouvant rassembler des individus de tous les horizons, de droite comme de gauche, il ne réussit pas à atteindre son objectif. Cependant, il a permis à des groupes tout de même divers d'être entendus sur la scène politique.

    L'Ouest est une région aux caractéristiques multiples et qui ne rentre pas dans le moule traditionnel du pays. Elle est globalement plus conservatrice que le reste du Canada et n'accorde qu'un soutien minime aux Libéraux au profit du Parti Conservateur. Depuis sa création, ses habitants ont fait valoir leurs divergences : les différences sont économiques, culturelles, politiques et même éthiques. Cependant, au lieu de créer un sentiment séparatiste, elles se doublent d'un désir d'unité : afin d'accroître sa sphère d'influence, la région souhaite converger vers le Centre et vaincre cet éloignement géographique et parfois idéologique. Loin de jouer un rôle négatif dans la fédération canadienne, ces caractéristiques territoriales sont une force et un atout qui permettent au pays de garder un dynamisme, à condition de savoir écouter les voix divergentes. En outre, si l'Ouest diffère du Centre, il ne faut pas voir cet espace comme une formation monolithique, d'autant qu'à notre époque, les tracées des cartes ont une signification de plus en plus réduite en matière d'identités ou de mesures politiques. On pourrait donc conclure en affirmant que la société canadienne semble pouvoir être stratifiée de manière quasi indéfinie, chaque citoyen appartenant à une multitude de sous ensembles, luttant pour une meilleure représentativité de leurs intérêts et de leurs particularités.

     



    [1] Roger Gibbins, Conflict and Unity : an Introduction to Canadian Political Life</em />, Toronto</city />, <state />New York</state /></place />, London</place /></city /> : Methuen</place /></city /> Publications, 1986, pp. 82-84.

    [2] En 1919, entre 25 000 et 30 000 habitants de Winnipeg prirent part à une grève générale qui paralysa la ville. Les ouvriers avaient essayé d'obtenir de meilleures conditions de travail mais sans résultat. Leur action fut perçue comme une conspiration révolutionnaire. La Police Montée et l'armée patrouillèrent dans les rues afin de mettre un terme à cette manifestation. Plusieurs grévistes furent tués ou blessés. Le mouvement se termina finalement sans résultats satisfaisants. (Loiselle Louise, L'encyclopédie du Canada</em />, Montréal : A. Stanké, 1987.)

    [3] Nelson Wiseman, « Reading Prairie Politics » in James P.Bickerton, Alain-G Gagnon, eds. Canadian Politics</em />, Peterborough (Ontario) : Broadview Press, 1994, p. 491.

    [4] La potasse est un minerai utilisé comme engrais.

    [5] Roger Gibbins, Loleen Berdahl, Western Visions, Western Futures, (2e édition), Broadview Press, 2003, p. 11. « The West, like many regional and most national communities, takes on greater cohesion and homogeneity the farther one moves away. The closer you get to the land and its people, the more the region begins to fragment into quite distinctive provincial communities and then into a multitude of communities within the provinces themselves.</em /> »

    [6] Stephen G. Tomblin, Ottawa</em /></place /></city /> and the Outer Provinces : The Challenge of Regional Integration in Canada</em /></place /></country-region />, Toronto</place /></city /> : James Lorimer and Company, 1995, p. 111.

    [7] Dave Barrett, membre de la Fédération du Crédit Coopératif, fut élu à l'Assemblée Législative de Colombie-Britannique en 1960 et resta Premier Ministre de cette province de 1972 à 1975.

    [8] Philip Resnick, The Politics of Resentment</em />, <state />

    British Columbia</em /></place /></state /> Regionalism and Canadian Unity</em />, Institute for Research on Public Policy, University</placetype /> of British Columbia</placename /></place /> Press, 2000, pp. 27-39. « My province is distinct in its history, in its peoples, in its economic thrust and partly distinct in its cultures from other regions of Canada</em /></place /></country-region />.</em /> »

    [9] Roger Gibbins, Loleen Berdahl, Western Visions, Western Futures</em />, p. 13.

    [10] L.H. Thomas, The Struggle for Responsible Government in the North-West</em /></placename /> Territories</em /></placetype /></place />, Toronto</place /></city /> : University</placetype /> of Toronto</placename /></place /> Press, 1956.

    [11] J. M. Beck, The Shaping of Canadian Federalism : Central Authority of Provincial Right?</em /> Toronto</place /></city /> : the Copp Clark Publishing Company, 1971, p. 11.

    [12] The Rich Kid : Where does <state />

    Alberta</place /></state /> fit into the Canadian family now? , The Literary Review of Canada, 28 avril 2005, Canada West Foundation.

    [13] John Herd Thompson, Forging the Prairie West</em />, Toronto</city />, <state />New York</state /></place /> : Oxford</placename /> University</placetype /></place /> Press, 1998, p. 104.


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  • L'Ouest canadien : </strong />

    une région divergente à la recherche d'une influence nationale</strong />

    Comme la plupart des sociétés contemporaines, le Canada cherche aujourd'hui à concilier unité nationale et divergences culturelles.

    Le multiculturalisme n'est pas uniquement le résultat d'une immigration récente et ne se définit pas seulement en terme d'ethnicité. Ainsi, la composante régionale de cette fédération participe à la construction d'une diversité identitaire que la mondialisation est loin de supprimer. Trois grands ensembles régionaux se distinguent : l'Ouest (Colombie-Britannique, Alberta, Saskatchewan et Manitoba), le Centre (Ontario et Québec) et l'Est (Nouveau-Brunswick, Ile-du-Prince-Edouard, Nouvelle-Ecosse et Terre-Neuve).

    L'Ouest est un espace divergent qui contribue au pluralisme canadien. En dépit des caractéristiques propres à chacune des provinces, l'identité régionale continue d'exister et va souvent de pair avec un sentiment d'aliénation face à Ottawa. Les différences remontent à l'intégration de ce territoire à la fédération : des causes naturelles s'ajoutèrent à des vagues d'immigrants polyglottes qui ne parlaient ni français, ni anglais. En outre, ils se sentaient mis à l'écart des mesures fédérales qui semblaient favoriser l'Est. Une économie agricole contrasta rapidement avec l'industrie manufacturière du Centre. Le système politique traditionnel prêta peu d'attention aux intérêts de cette périphérie, ce qui contribua à renforcer l'idée d'une mauvaise intégration. En conséquence, pour représenter la diversité économique, culturelle, religieuse et linguistique, des tiers partis furent créés dès le début du 20ème siècle.

     


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